HARUNOBU (SUZUKI)

HARUNOBU (SUZUKI)
HARUNOBU (SUZUKI)

Suzuki Harunobu fut l’un des premiers dessinateurs japonais à comprendre quelles ressources nouvelles offrait la xylographie polychrome, également appelée «image de brocart» ou nishiki-e , qui constitue une véritable révolution technique dans la gravure sur bois. Il semble que ce nouveau procédé permit à son talent de s’épanouir pleinement.

Avec Harunobu disparaît la gaucherie caractéristique de l’estampe dite «primitive» et se réalise un moment d’équilibre dans l’art de l’estampe. D’autre part, alors que toute l’évolution de la gravure sur bois montre une très nette tendance au réalisme, jamais œuvre de dessinateur ne fut plus empreinte de poésie et de romantisme: tout est transposé dans un univers éthéré et idéalisé, de rêve et de lyrisme.

Naissance du «nishiki-e»

Fait très rare en histoire de l’art, on peut dater de façon très précise l’apparition du nishiki-e : les premières estampes polychromes apparurent sous forme de calendrier illustré (e-goyomi ) pour le nouvel an 1765.

Si la tradition attribue volontiers ce progrès technique à Harunobu, l’idée et la réalisation en reviennent à un groupe de poètes amateurs de haikai . Dans ce milieu d’intellectuels dilettantes, il était de tradition d’échanger entre groupes rivaux des estampes calendriers, à l’occasion de la nouvelle année. Ces e-goyomi , véritables rébus où l’on faisait assaut d’esprit et d’invention artistique, n’étaient tirés qu’à un nombre restreint d’exemplaires, sans aucun but commercial. Cette année-là, une de ces associations, présidée par Kyosen (pseudonyme artistique d’un vassal direct du sh 拏gun), eut l’idée de recourir à Harunobu, alors peu connu, et aux meilleurs graveurs et imprimeurs spécialisés dans le benizuri-e (estampes tirées en deux ou trois couleurs) pour réaliser des estampes-almanachs en sept ou huit couleurs sur un papier de qualité remarquable (h 拏sho ), réservé jusque-là aux documents officiels. Le résultat fut si étonnant et le public si enthousiaste que l’on s’empressa d’en faire une édition commerciale.

En fait, la xylographie polychrome était connue au Japon depuis longtemps. Outre les benizuri-e , quelques rares exemples nous sont parvenus d’expériences sans lendemain. Le nouvel an 1765 marque réellement le début d’une ère nouvelle dans l’art de l’estampe.

Si l’on doit l’idée et la réalisation de ces compositions raffinées à ces poètes amateurs, la raison de leur étonnant succès revient au génie de Harunobu. Célèbre du jour au lendemain, encouragé par sa fortune, il se consacre jusqu’à sa mort au nishiki-e , tirant le meilleur parti de toute innovation technique. En six ans, il laisse une œuvre de plus de six cents planches, toutes admirables de qualité.

Le mystère Harunobu

Les origines, la personnalité et la formation artistique de Suzuki Harunobu sont autant de points d’interrogation. Le seul fait précis est la date de sa mort, en juin 1770; l’artiste avait quarante-cinq ans selon l’avis de la majorité des historiens.

Beaucoup prétendent qu’il fut l’élève de Nishimura Shigenaga (1697-1756). Mais dans la préface que Harunobu écrivit au livre Souvenir d’Edo , dessiné par Shigenaga en 1753, il parle d’«un certain Shigenaga», termes bien impersonnels qui n’évoquent guère des liens d’élève à maître.

En 1754, Harunobu est suffisamment connu dans les milieux artistiques d’Edo pour s’installer à son propre compte. Durant cette période qui couvre une dizaine d’années, son œuvre se résume en une quarantaine d’estampes et quelques illustrations de livres, qui traduisent les différents courants artistiques de l’estampe de la première moitié du XVIIIe siècle. Dans ses portraits d’acteurs, il imite fidèlement le style de Torii Kiyomitsu (1735-1785), ce qui a fait dire qu’il en avait été l’élève. En revanche, ses portraits de jolies femmes subissent l’influence d’Ishikawa Toyonobu (1711-1785). On trouve encore une parenté de style avec Nishikawa Sukenobu (1671-1751), qui permet de penser que Harunobu étudia l’œuvre du grand maître de l’illustration du livre.

Le phénomène Harunobu

Les premières œuvres ne permettent pas d’entrevoir dans l’artiste mal affirmé le maître génial, au style si mûr et si personnel, qu’il sera dès 1765, avec l’apparition du nishiki-e .

Rompant d’avec la tradition réaliste, il crée un univers où les actes les plus banals et les sentiments les plus terribles s’épurent dans un monde de rêve. Quel que soit le sujet traité, tout est transposé au-delà du réel, dans une atmosphère poétique que l’on ne retrouve à aucun autre moment de l’histoire de l’estampe.

Écartant toute sensualité, il chante une femme idéalisée, éthérée, au visage jeune et inexpressif, au col de cygne, au corps svelte, aux attaches trop fines, aux mains et aux pieds trop petits. Femme de haut lignage, courtisanes ou servantes, toutes répondent à ce nouveau canon.

Différent en cela aussi de ses prédécesseurs, Harunobu attache une grande importance au cadre de l’action. Le lieu, l’heure et la saison sont décrits avec précision, tandis que des annotations subtiles en traduisent les changements imperceptibles. Loin de traduire une préoccupation de réalisme, ces fonds construits et détaillés renforcent l’impression de rêve voulue par l’artiste.

Le contenu littéraire que Harunobu donne à son œuvre frappe davantage encore. La plupart de ses estampes, lorsqu’elles ne sont pas des allégories poétiques, sont agrémentées d’un poème tiré d’anthologies classiques, des XIIIe et XIVe siècles. Penchant d’un romantique pour la littérature, disposition d’esprit commune à tous les esthètes de son temps, ou préoccupation, consciente ou non, de donner une tradition classique à l’art populaire de l’estampe?

Harunobu et son temps

Maître adulé et incontesté durant les six dernières années de sa vie. Harunobu a marqué profondément, par son style et sa vision des choses, l’esthétique de l’estampe pendant l’ère Meiwa (1764-1772). L’engouement du public pour son art ne s’éteignit pas avec la mort de l’artiste. Dans ses mémoires, Shiba K 拏kan (1747-1818), l’un des diffuseurs de la peinture et de la gravure européennes, avoue avoir dessiné dans sa jeunesse des estampes signées Harunobu, et d’autres à la manière de Harunobu, signées Suzuki Harushige, pour satisfaire à la demande du public.

L’art de Harunobu s’élève à un niveau comparable à celui de Moronobu, d’Okumura Masanobu, de Kiyonaga ou d’Utamaro, et tous ces artistes ont dominé leur époque en créant un nouveau canon de la beauté féminine, ou tout au moins en interprétant avec génie l’idéal féminin de leur temps.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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